Redevabilité?
La redevabilité est évoquée comme un des 4 éléments structurants du mouvement de multiplication de disciples. "Sans redevabilité, pas ou peu de croissance." (cf. Neil Cole) Mais d'où vient de cette notion?
Le mot "redevabilité" est traduit du mot anglais "accountability". Oxford English Dictionary définit "accountability" comme «the quality of being accountable; liability to give account of, and answer for, discharge of duties of conduct» (qualité d’être redevable, obligation de rendre des comptes, de répondre et de s’acquitter des devoirs d’une gestion». Si l’individu n’a pas satisfait à ses obligations ou à ses engagements, il sera passible d’une sanction ou, pour le moins, il sera tenu d’expliquer pourquoi il ne l’a pas fait.
Transposer cette notion à la formation des disciples, revient à dire:
"Le disciple en formation est redevable à son formateur; il a l'obligation de lui rendre compte, de répondre et de s'acquitter de ses devoirs, de ses engagements par rapports aux objectifs fixés."
Pour nous, introduire une telle notion dans la formation des disciples crée une relation malsaine et confuse et amène de mauvais fruit. Ceci pour plusieurs raisons:
1) dieu a effacé nos dettes
La redevabilité repose sur l’idée de dette. Or, Jésus dit en enseignant la prière à ses disciples: "Remets-nous nos dettes, comme nous aussi nous remettons à nos débiteurs." (Matthieu 9:12, version Darby). Son désir d'effacer nos dettes - celles envers lui ainsi que celles des uns envers les autres - est tellement grand qu'il a envoyé son fils mourir sur la croix pour que nous soyons totalement acquittés. L'écriture déclare: "le débiteur est l’esclave du créancier." (Proverbes 22:7) Avec le fossé creusé par la dette, il est impossible que le débiteur et le créancier vivent une relation proche d'amour et de confiance. Mais Dieu désire vivre cette relation avec les humains, en tant qu'hommes libres. Si Dieu a décidé d'effacer nos dettes et de nous libérer d'un tel poids de culpabilité, alors pourquoi nous remettre sous le joug de la redevabilité?
2) Jésus n'a soumis personne à la redevabilité
Jésus, le plus grand formateur de tous les temps, n'a mis pression à personne pour qu'il devienne son disciple. Il n'a jamais voulu que quelqu'un vienne à lui en se sentant redevable; il n'a jamais voulu rappeler à qui que ce soit les dettes que l'on lui devait (pourtant la liste doit être longue!). Il ne veut pas qu'on le suive par peur ou contrainte, mais par amour et libre choix.
Jésus a raconté cette histoire en parlant de la femme pécheresse: " «Un créancier avait deux débiteurs: l'un d'eux lui devait 500 pièces d'argent, et l'autre 50. Comme ils n'avaient pas de quoi le rembourser, il leur remit à tous deux leur dette. Lequel des deux l'aimera le plus?» Ce qu'il désire de voir, c'est un cœur reconnaissant et qui aime en retour. Jamais la redevabilité arrive à faire croitre l'amour de Dieu dans notre cœur. Si Jésus a remis toutes nos dettes et déclare que nous ne lui devons plus rien, qui parmi les hommes pourrait encore réclamer notre redevabilité?
3) pas de place à la redevabilité dans la relation fraternelle
L'apôtre Paul dit dans l'épitre aux Romains: "Ne restez redevables de rien à personne, sinon de vous aimer les uns les autres. Car celui qui aime l'autre a satisfait à toutes les exigences de la Loi. "(Romains 13:8). Nous ne pouvons pas imaginer une relation fraternelle basée sur la redevabilité dans la famille de Dieu. Le formateur, en plaçant la personne en formation sous l'obligation de s'acquitter de ses devoirs, la met sous le joug de la loi. Or l'amour accomplit toute la loi. Nous ne sommes plus sous le régime de la loi mais celui de la grâce, ce qui n'enlève évidemment pas notre responsabilité en tant qu'enfant de Dieu, mais c'est bien elle qui nous enseigne réellement: "La grâce de Dieu... nous enseigne à renoncer à l'impiété et aux convoitises mondaines, et à vivre dans le siècle présent selon la sagesse, la justice et la piété." (Tite 2:11-12)
Existe-t-il une meilleure formation basée sur l'amour et la grâce de Dieu?
4) Mauvais fruit de la redevabilité
Pour parler du fruit de la redevabilité, nous voudrions prendre l'exemple de la culture chinoise que nous connaissons bien. En Chine, toutes les relations humaines sont gérées par le principe de la redevabilité: on s'acquitte scrupuleusement de toutes les dettes envers les autres, financières, affectives, relationnelles, etc... en veillant qu'on ne doit rien à personne. C'est une loi non dite. Tout est comptabilisé dans les moindres détails: les cadeaux, les services rendus, les faveurs... Les enfants notamment doivent énormément à leurs parents, cela pendant toute la vie durant, parce qu'ils leur doivent la vie. Savez-vous? La redevabilité marche très bien, et produit des personnes aimables et attentionnées, qui ne reçoivent rien sans essayer de vous rendre pareil; elle produit des relations abondantes et harmonieuses; elle produit des enfants extrêmement respectueux de leurs parents, exemplaires de "la piété filiale". Mais seulement tout cela n'est pas motivé par la reconnaissance sincère ni de l'amour, mais par la contrainte de la redevabilité.
Résultat? Toute joie de vivre ensemble, toute spontanéité et liberté dans les relations, toute reconnaissance sincère se sont envolées, laissant place à ce poids écrasant d'obligation et de culpabilité, pouvant être soulagé seulement par l'acquittement de ses devoirs jusqu'à la fin de ses jours.
Est-ce cela la relation que Dieu attend de la part de ses enfants? Est-ce cela la relation voulu par Dieu dans son église? Est-ce ainsi que vous concevez une vie de disciple épanouie?
conclusion
Nous sommes tout à fait pour cette recherche noble de former de vrais disciples pour le Seigneur, de rendre les chrétiens plus responsables de leurs engagements, plus sérieux et déterminés dans leur marche avec Dieu, plus reconnaissants envers Dieu et sa bonté... Mais il nous semble que la notion de redevabilité, même si elle est capable d'avoir de bons résultats en apparence en matière de formation de disciples, ne peut produire de bons fruits pour le royaume dans la durée. Parfois c'est un problème de vocabulaire, alors pourquoi pas insister sur "la reconnaissance à Dieu, la responsabilité de son engagement" au lieu de la "redevabilité" pour encourager une vraie démarche de consécration; parfois la racine du problème est beaucoup plus profonde: pourquoi pas revenir au Dieu de grâce et à la dépendance du St Esprit, en délaissant des méthodes humaines qui finiront par produire des fruits amers?